QUAND LA VICTIME DEVIENT PERVERS

Vivre dans une relation perverse sur plusieurs années à un impact dommageable sur la “victime”. Il faut bien comprendre que nous ne “tombons” pas dans ce type de relation par “hasard”. Cela débute généralement par un climat familial pervers avec un parent manipulateur. L’enfant, s’il n’a pas un parent pour jouer le rôle du protecteur, pourra soit devenir manipulateur pervers à son tour soit reproduire à l’âge adulte la même relation parentale qui lui a servit de modèle.

La personne que l’on nomme victime est en fait  un “dépendant affectif”. Le manque de reconnaissance, d’amour pendant l’enfance (voir le tableau sur les 5 blessures de l’âme) sont les caractéristiques de ces personnes fragilisées et donc susceptibles d’entrer en relation perverse.

Même si je parle de victime comme il est courant de nommer ces personnes ainsi, je me refuse pourtant à en faire une étiquette. Les mots sont d’une grande importance. Et se caractériser comme “victime” ou même “d’ancienne victime” nous enferme justement dans ce rôle. Nous empêchant de sortir totalement de cet état incapacitant. Il serait plus juste de dire “je suis dans une relation toxique” ou “j’ai été dans une relation toxique”. On se détache alors de la relation (souvenez vous, nous ne sommes pas nos comportements) et nous pouvons alors sortir plus facilement de ce “jeu” de pouvoir.

La personne qui subit la relation perverse pendant des années est conditionnée par ce mode de fonctionnement relationnel. Et bien entendu plus le conditionnement est long (de longs mariages et/ou depuis l’enfance)  plus la personne est dissociée de son être, de ses valeurs profondes. On pourrait dire qu’elle est “infectée” et ne sait plus, ou ne sait pas ce qui est une relation “normale” et saine. Elle ne sait pas fonctionner autrement que dans des jeux de pouvoirs, d’humiliation, de manipulation et de négation de ses besoins.

Si je vous parle de ce sujet c’est parce qu’il me tient à coeur, et bien sûr parce qu’il  est directement lié à mon expérience de vie. Il faut un réel travail thérapeutique pour sortir totalement de l’emprise du manipulateur. Et toutes les personnes qui ont vécues cela vous diront que jamais rien n’est acquis. Et malgré ma formation de thérapeute, je reste vigilante et particulièrement sur mes blessures d’enfants.

Pourquoi ce titre “quand la victime devient pervers...” ? Je vais vous raconter une tranche de vie...

J’ai rencontré un homme qui était lui aussi un “rescapé” de deux très longues relations toxiques. Je l’ai rencontré dans un cadre professionnel. Au départ je n’étais pas attiré par lui. Il avait 12 ans de plus que moi et je pensais que c’était un frein. Et puis à force de se voir professionnellement une fois, voire 2 fois par semaine pendant plusieurs mois j’ai appris à le connaître. Je me suis rendue compte que nous avions énormément d’affinités. Tant sur la spiritualité qu’en politique, que sur nos goûts musicaux ou sur l’éducation. Nous étions tous deux ce que l’on appelle des hyper sensibles ou des “empathes”. Au fil des mois je ressentais un lien qui se tissait avec lui. La communication était très fluide et nous étions chacun contents de nous retrouver pour discuter. Je me souviens avoir perçu ce basculement où je ne le voyais plus comme un professionnel mais comme un homme pour lequel j’éprouvais une attirance. Et cette petite voix à chaque visite “attention... es-tu certaine qu’il n’est pas un manipulateur ?” Et puis dans la conversation nous nous sommes rendu compte que nous étions tout deux des “rescapés”. Sans doute est-ce cela qui a donné ce sentiment de “lien” entre nous. Il y avait aussi le sentiment de sécurité, de ne plus avoir à être sur ses gardes.

Au bout de quelques semaines j’ai fait le premier pas... absent pour quinze jours nous avons correspondu via les réseaux sociaux. Parfois jusqu’à 5 heures d’affilées ! Le virtuel permet ce sentiment de proximité et les barrières lâchent. Nous nous sommes emballés, emplis de cet espoir d’une belle relation saine et équilibrée. J’étais surprise de le voir partir si loin dans ses projections mais en bonne dépendante affective que j’étais... je me suis laissé prendre par ce “jeu” virtuel si prometteur et enivrant.

Mais le virtuel ne nous prépare pas à la chute quand nous retrouvons la réalité... notre rdv galant fut une catastrophe. Nous avions “tout” prévu à l’avance. Sauf le fait que nous nous étions quitté dans la vraie vie en tant que professionnels... et que cette “retrouvaille” ne serait pas si facile. Avoir “tout” prévu sur Messenger, nous à coupé de notre spontanéité avant même de nous voir. Il avait passé toute la nuit précédante dans un avion et s’était endormi sur son canapé juste avant notre rdv... moi j’étais malade comme un chien, un mal de ventre terrible et la bouche totalement sèche.

Je suis arrivée 30 minutes en retard au cinéma (ça c’est tout moi ! et une circulation difficile...) Et nous avons été gauches. Je m’étais mise sur mon 31.. tellement que je n’en étais pas à l’aise du tout ! Et puis.. quelle idée comme premier rdv ! un cinéma ou on ne peut pas se parler... (ça c’était mon idée ! LOL) En sortant nous avons cherché un bar (ça c’était son idée !) mais nous n’y connaissions rien... Nous avons atterrit dans un bar/restaurant à poissons.. Imaginez l’ambiance, une odeur flottante de poissons ! (mais ça c’était ma faute je n’aimais pas la bière et le seul autre bar ne servait que cela...) Déshydratée, mal au ventre, je peinais à parler et le martini me donnait le tournis (j’étais à jeun)...

Nous avons ramé pendant des heures comme deux adolescents, ou peut-être justement comme deux rescapés qui ne savent plus comment se courtiser. Jusqu’au premier baiser ce fut vraiment mal engagé ! Nous étions, sans nous le dire, tout deux très déçus de ce démarrage foireux, bien loin de tout ce que nous avions imaginé !

Je le voyais comme une personne très équilibrée, ancrée, centrée. C’était rassurant. Mais ça c’était avant... Le lendemain il est devenu très distant. Et puis il a beaucoup parlé.. tout l’après midi. Je l’ai écouté, je sentais qu’il en avait besoin. “j’ai vécu 30 ans comme en prison... je n’avais pas le droit d’être moi même.. tu souris tout le temps.. ça me fait bizarre.. elle faisait tout le temps la gueule.” Il se vivait  encore comme une victime. Avec ses peurs et ses doutes.

Et moi qui souriait tout le temps...qui l’écoutait, qui parlait toujours calmement et posément. Ce n’était pas habituel pour lui et j’oserais même dire que cela devait être anxiogène. Conditionné pendant 30 années dans des relations ou le respect et l’écoute de l’autre n’étaient pas présents, les chantages et les cris... les manipulations et les humiliations avaient laissées de lourdes traces mais cela avait été son modèle de relation pendant si longtemps... c’était presque rassurant parce qu’habituel. Comment alors ne pas suspecter que je cache bien mon jeu ? Si compréhensive... il y avait forcément une faille quelque part...

Ma faille c’était le manque de reconnaissance et les silences assourdissants, l’absence d’écoute et d’empathie. Il connaissait un peu mon histoire et malgré lui, inconsciemment, il a joué très rapidement un rôle pervers, me plongeant dans le silence total et me laissant dans une situation incompréhensible et anxiogène dans ce tout début de relation.

Comme dans toute relation perverse il y a des “chauds” et des “froids”. Au début il revenait vers moi, toujours virtuellement, en répondant à mes longs messages inquiets et questionnants. Il se disait perdu, blessé, incapable d’aimer à nouveau. Il disait avoir peur et être pleins de doutes. Il pensait être “guéri” et se rendait compte avec moi qu’il ne l’était pas. J’ai bu ses paroles rassurantes avec l’espoir de l’avoir moi même suffisamment rassuré pour continuer la relation.

Et puis le silence est devenu plus assourdissant, incompréhensible. Il ne répondait pas au téléphone, ni à mes messages. Mes blessures se sont rouvertes, béantes et douloureuses. Et avec elle l’angoisse illusoire de l’abandon. Alors comme une “bonne rescapé” j’ai plongé...

Il me fuyait, je lui courais après. Son silence n’était pour moi pas une réponse mais un cri. Je le voyais comme il se décrivait : une victime. Je pensais alors qu’il avait besoin d’être encore rassuré. Sa fuite et son silence m’étaient insupportablement incompréhensifs, mes empressements, harcèlements étaient pour lui de l’hystérie.

Nous étions en train de rejouer nos blessures et nos peurs. Parce que nous n’avions connu que cela...

Alors que toutes nos affinités auraient pu nous rejoindre, nos blessures nous ont séparées...

Il a fait basculer la relation dans la perversion, je l’ai entretenue... jusqu’au déchirement total. Pour lui j’étais excessive et il n’avait catégoriquement plus envie de me parler ni même de me voir ou me croiser.

Il était dans le refus absolu de voir par où tout cela avait commencé... incapable de se remettre en question et de voir ses ombres. Persuadé d’être une victime. Mais il a été autant mon persécuteur que je l’ai été pour lui... Il m’a fait revivre le mépris et l’indifférence et en écho je lui ai fait revivre ce sentiment d’étouffer, de ne pas pouvoir exister...

Ses dernières paroles ont été très dures, emplies de jugements “tu es comme ci, tu es comme cela...” Et cela fut très difficile à encaisser.

Ce sentiment latent de “mais comment en est-on arrivé là ?!”

Parce que nous étions deux rescapés qui avons rejoué la perversion malgré nous...

Ce sentiment de gâchis, d’en être dans une situation ou aucun dialogue n’est plus possible. Alors que chacun de son côté avait de “bonnes intentions”. N’est ce pas étrange que deux rescapés rejouent la scène de leur souffrances passées ?

Cette expérience m’a fait grandir. J’ai eu cette capacité à prendre de la hauteur et de parler à cet égo en souffrance, à cet enfant intérieur blessé d’avoir été rejeté.

Je suis seulement triste qu’il n’ait pas réussit à prendre cette hauteur pour comprendre ce qui c’était joué en lui avec ce risque d’éternel recommencement... Mais ça c’est son histoire et son chemin et je lui souhaite sincèrement de guérir ses blessures.

J’ai pu voir la personne qu’il était pour les autres, qui le décrivent comme un homme généreux et sensibles. Je lui souhaite de prendre ses responsabilités et son courage.

Ne vous définissez plus comme une victime ou une ancienne victime. Reconnaissez les expériences de vie comme des apprentissages pour avancer. Reconnaissez votre responsabilité dans les relations perverses que vous avez accepté d’entretenir. Et faites vous aider d’un thérapeute qui connait bien ce sujet.

Le chemin est long et parsemé d’embuches mais si vous y croyez vous y arriverez !